Favoriser des synergies
On définit souvent la synergie comme l’action coordonnée de plusieurs éléments qui produisent un résultat supérieur à la somme des parties ; dit autrement, 1 + 1 > 2.
Ce projet aborde notamment la nécessaire complémentarité entre l’utilisation de situations de travail comme supports des apprentissages et les simulations utilisées comme outils d’acquisition des savoirs et de construction des compétences. Il éclaire également la conception de dispositifs propices à l’émulation entre les acteurs.
Mandant
Mission
Proposer des étayages conceptuels pour éclairer les réflexions et choix de la direction de l’ES. Cette dernière est dans la phase d’élaboration d’un nouveau plan d’étude. Il s’agit de configurer 4 filières de formation. Deux d’entre elles accueillent des étudiant·e·s à plein temps et les deux autres offrent des formations en emploi. Les enjeux sont importants et les contraintes multiples ; j’en retiens principalement deux :
- Permettre à tous·tes les étudiant·e·s des filières à plein temps de suivre un stage de plusieurs semaines en entreprise durant leur formation
- Obtenir la reconnaissance fédérale de l’ES et de ses filières dans leur nouvelle configuration
Modalités d’interactions
Ce mandat suppose que je travaille sur trois axes au moins : la direction et les enseignant·e·s responsables des filières, des entreprises susceptibles d’accueillir des stagiaires et, bien évidemment, des étudiant·e·s.
Je vais donc, dans un premier temps, échanger avec la direction afin de m’approprier, en partie du moins, le cahier des charges imposé par le SEFRI. Par des rencontres régulières, nous pouvons ajuster nos points de vue, élaborer des modèles, discuter de leur faisabilité et/ou proposer des ajustements aux dispositifs envisagés. Le travail avec les formateurs·trices en ES m’oblige à convoquer de nombreux outils spécifiques de l’analyse du travail. Un bref détour théorique – que je vais tenter de simplifier au maximum – s’impose. La didactique professionnelle s’est développée dans deux directions qu’apparemment tout oppose : l’utilisation de situations de travail comme supports des apprentissages ou, telles qu’elles se pratiquent essentiellement dans les écoles des métiers, les simulations servent à l’acquisition des savoirs et à la construction des compétences. La recherche a largement démontré que ces deux dimensions de la didactique professionnelle ne vont pas l’une sans l’autre ; les stages en entreprise sont par conséquents pertinents et gages d’une augmentation de l’efficience du modèle retenu ! Les enseignant·e·s qui ont quitté l’industrie pour venir à la formation professionnelle ressentent cette complémentarité comme évidente. Avec les autres formateurs·trices, je dois explicitement valoriser les potentialités de la simulation en formation et en éclairer les limites. Dans la mesure où les responsables des filières négocient les stages et leurs contenus avec les entreprises, il est crucial qu’ils aient une perception claire de la complémentarité des dimensions de la didactique professionnelle. En outre, c’est à eux qu’il appartient d’outiller les étudiant·e·s en amont et de faire fructifier les apports du stage au retour à l’ES.
Mon travail auprès des entreprises est parfois aisé : la formation fait partie intégrante de leur culture. Dans d’autres cas, il s’agit d’argumenter et de convaincre qu’un·e stagiaire constitue une opportunité pour l’entreprise et que le stage est une démarche gagnant-gagnant. Assez largement, les entreprises saisissent cette opportunité et confient tout ou partie d’un projet complexe et surtout chronophage au(x) stagiaire(s). L’économie réalisée par l’entreprise est substantielle et le défi extrêmement stimulant pour l’étudiant·e ; j’y reviens plus loin. Je me dois de relever ici combien la qualité des relations entre les formateurs·trices ES et les entreprises est déterminante quant au succès des demandes de places de stages et à la fluidité de l’ensemble des activités. Parfois, je me sens comme un catalyseur dans ce processus tout en sachant pertinemment que l’explicitation et la valorisation des rôles de chacun·e des acteurs·trices constitue un élément décisif.
Les étudiant·e·s confirment, si besoin était, que les dimensions de la didactique professionnelle évoquées plus haut sont complémentaires. Celles et ceux qui ont suivi une formation duale saluent le développement de leur expertise par la pratique des situations de travail et la reconnaissance personnelle et professionnelle qu’ils ou elles en retirent ; mais déplorent le peu d’opportunités de décomposer les tâches afin d’en comprendre les diverses articulations. A l’inverse, les jeunes qui ont acquis leur formation initiale dans une école des métiers sont contents d’avoir eu ce droit à l’erreur, cette possibilité de fractionner ou de ralentir les protocoles et les procédures mais regrettent d’avoir … « travaillé pour le benne ». La perspective de suivre un stage en entreprise est globalement accueillie avec enthousiasme ; et avec une certaine appréhension. L’étudiant·e se trouve confronté·e, souvent pour la première fois de sa vie, à diverses contraintes : faire connaissance avec son maître de stage et l’équipe dans laquelle il devra trouver sa place, comprendre le travail qui lui est confié, rencontrer le mandant et saisir toutes les nuances de ses besoins, élaborer son cahier des charges, négocier avec des fournisseurs, réaliser le produit attendu, etc. ; et s’exposer aux réactions et remarques du destinataire final. La simple évocation et la perspective de ces quelques étapes suscite de nombreuses émotions dont la palette va de l’excitation joyeuse à l’épouvante. L’image de soi, l’identité professionnelle, la reconnaissance par les pairs et le développement de compétences avérées sont quelques-uns des enjeux du stage. La recherche fondamentale et l’expérience montrent que la plus-value motivationnelle l’emporte largement sur tout autre considération. Les formateurs·trices en école et en entreprise ont une grande responsabilité quant à la prise en compte de ces différents éléments pour permettre, voire favoriser chez les stagiaires, le développement de compétences, certes professionnelles mais, et peut-être surtout, de compétences générales : relationnelles, sociales ou encore de capacité à se projeter.
Résultats
Les plans de formation des quatre filières ont été validés et l’École Supérieure Technique est reconnue au niveau fédéral avec ses nouvelles modalités de formation.
En quoi les modèles retenus favorisent-ils des synergies ? Les premières se traduisent, je crois, par une saine émulation entre les formateurs·trices au sein même de l’ES : il s’agit de préparer les étudiant·e·s de telle façon qu’ils·elles soient capables de relever les défis lancés par les responsables de stage et leurs mandants. Dans tout dispositif, l’image de soi est en jeu ; et un enjeu. Chacun·e, tant vis-à-vis de soi que de ses pairs et des tiers sera tenté·e de donner le meilleur de lui·elle-même. Les entreprises qui accueillent des stagiaires acceptent des regards extérieurs sur leurs pratiques. En effet, les interactions tripartites font partie intégrante du dispositif. Cette visibilité pousse chacun·e à optimiser ses prestations. Des alliances, souvent subtiles, se nouent entre les responsables des filières et « leurs » étudiant·e·s lors des réunions au cœur de l’entreprise. D’autres fois, le maître de stage et l’enseignant·e ES tissent une belle complicité et s’accordent pour aiguillonner l’étudiant·e, l’amener à se dépasser. Il convient de mentionner encore un élément singulier, propice au développement des compétences chez les étudiant·e·s : lors de la remise des titres, chaque technicien·ne est appelé·e, son travail de diplôme brièvement décrit, l’entreprise de stage mentionnée … et dignement représentée dans l’assemblée. Une part du succès du·de la diplômé·e rejaillirait-elle, légitimement, sur les formateurs·trices ? Enfin, la situation de travail à laquelle le·la stagiaire est confronté·e en entreprise lui permet de convoquer une foule de savoirs construits grâce à la simulation en laboratoire, de les articuler et de les transférer dans une nouvelle situation. Cette capacité de transfert ne constitue-t-elle pas justement l’une des composantes de la compétence ?
Radiographier des postes de travail
L’analyse du travail est une démarche méthodologique qui vise à recueillir des données indispensables avant la réalisation d’une intervention, d’une formation ou d’un recrutement.
Comment le questionnement de l’écart entre le travail réel et le travail prescrit permet-il de faire émerger des ressources et des compétences individuelles et collectives ? pourquoi l’analyse du travail contribue-t-elle à augmenter l’efficience des travailleurs ? en quoi la reconnaissance de l’expertise des acteurs constitue-t-elle un levier puissant de la performance de l’entreprise ? Telles sont quelques-unes des questions qui sont abordées ci-dessous.
Mandant
Mission
Initialement, je n’ai pas de mandat défini. Alors que je dois valider un module de mon MAS pour l’université de Genève, l’entreprise m’ouvre aimablement ses portes et m’offre la possibilité d’approfondir un champ de l’analyse du travail à la fois passionnant et riche en potentialités de développement : L’écart entre le réel et le prescrit au cœur de l’expérience du travail.
De quoi s’agit-il ? Pour le dire simplement, le travail prescrit correspond à la partie visible de l’iceberg (les consignes, les objectifs, la temporalité, etc.), alors que le travail réel constitue sa partie cachée et l’ensemble des activités, choix et contraintes que le travailleur doit aménager pour réussir sa mission.
Le réel résiste ; toujours. Cette résistance provoque de la souffrance chez le travailleur mais le pousse à désobéir et à faire preuve d’inventivité et de nuance pour effectuer sa tâche.
Modalités d’interactions
Lorsque le client lambda que je suis endosse son costume de chercheur et annonce ses intentions et besoins au chef d’atelier, la gêne et l’appréhension l’emportent sur l’intérêt et la curiosité ; et je m’y attendais. Sauf à y être préparé·e et/ou habitué·e, personne n’accepte d’être objet d’observation et ne soumet ses pratiques à l’analyse sans crainte, voire sans réticence. Je débute donc – délibérément au cœur de l’atelier – un travail d’argumentation auprès de mon interlocuteur. Au fil des minutes, il se détend et perçoit combien mon intérêt pour l’homme, pour le professionnel qu’il est et pour les fonctions qu’il occupe est authentique. Ces échanges ne manquent pas de piquer la curiosité des autres employés qui délaissent leur tâche pour s’approcher et tendre une oreille attentive. Je reprends certaines explications dont ils n’avaient perçu que des bribes, je reformule, je nuance et la dynamique que j’attendais se met en place : tous acceptent, avec des motivations parfois différentes que je promets de prendre en compte dans mon travail, de se prêter au jeu. Le rendez-vous est pris pour la première phase de l’analyse du travail et je quitte une équipe excitée par la perspective d’une expérience originale …
Au moment convenu, je débarque dans l’atelier et suis accueilli plutôt chaleureusement ; toutefois, certains sourires sont quelque peu crispés. Même si nous en étions convenus et que le déroulement de cette première phase est connu, lorsque je positionne le trépied et la caméra pour avoir une vue d’ensemble de l’atelier, la tension est palpable. Je tente de rassurer et assure que, très rapidement, ils vont l’oublier. J’enclenche la caméra et quitte l’atelier – l’observateur modifie indubitablement ce qu’il observe – durant quelque 30 minutes qui me paraissent une éternité. Lorsque je réapparais, j’ai le sentiment que l’activité se déroule normalement et que les employés ont effectivement oublié qu’ils étaient filmés. J’arrête la vidéo et, par une boutade, redonne toute leur liberté aux travailleurs. Le climat de travail est bon et, comme convenu, je passe vers chacun pour effectuer le débriefing à chaud de cette demi-heure. Les réactions sont riches et contrastées. On m’adresse de nombreuses questions auxquelles je promets d’apporter des réponses lors de ma prochaine visite, lorsque je manque d’éléments précis pour y répondre immédiatement.
L’analyse de la vidéo constitue un véritable travail de bénédictin. Quels sont les indices signifiants ? Quelles hypothèses puis-je en tirer ? Comment vais-je les vérifier ? Que ferai-je des résultats ? Comment devrai-je les communiquer ? et à qui ? Comment vais-je procéder pour que mon travail débouche sur plus d’efficience tant pour chacun que pour le collectif ?
C’est par des entretiens individuels que je tente de vérifier mes hypothèses et poursuis mon engagement. Avec chaque employé, je soigne la qualité du lien, je renforce la confiance établie, je reprends les questions laissées en suspens et travaille à libérer la parole. Je recours à des outils spécifiques de l’analyse du travail tels que l’entretien d’explicitation et l’instruction au sosie pour procéder à une radiographie de chaque poste de travail. C’est même une tomographie qui met en lumière les similitudes mais aussi les spécificités de chaque place de travail ; ainsi que le niveau de compétences de l’employé pour l’occuper. Chaque rencontre me permet d’ajuster la focale sur ce fameux écart entre le prescrit et le réel. Chacun explicite et argumente ses choix. Ce qui parfois se faisait dans une quasi-clandestinité est mis en lumière et valorisé. La souffrance, voire la culpabilité de l’employé qui s’écarte de la prescription pour réussir sa tâche est remplacée par une amélioration de l’estime de soi. La compétence est identifiée et souvent mutualisée. Les fruits de ces interactions sont résumés ci-dessous.
Résultats
Pour ce projet, je suis accueilli dans une entreprise où des personnes compétentes conjuguent leurs efforts pour offrir des prestations de qualité.
Les différentes interactions menées avec, principalement, le personnel de l’atelier ont permis notamment de faire émerger des ressources et des compétences individuelles et d’en faire profiter le collectif. Sur le plan individuel, chacun a pu retirer quelques bénéfices de cette démarche : reconnaissance de soi et de son niveau d’expertise, valorisation de ses pratiques professionnelles, développement de ses interactions avec ses pairs et de ses compétences sociales. Pour le collectif, l’amélioration de l’efficience par une répartition plus adéquate de certaines tâches en fonction des dispositions et habiletés individuelles. Je laisse le mot de la fin à l’un d’eux : « Au début, j’étais pas chaud. Mais finalement, c’était super : on fait l’même boulot, on bosse tous les jours ensemble et on parle jamais de c’qu’on fait … ».
Négocier et collaborer
Cette expérience porte sur l’élaboration et le développement d’une ingénierie de formation totalement novatrice dans un système stabilisé. Elle aborde les méthodologies mises en œuvre pour coconstruire un dispositif d’apprentissage hybride (blended learning).
Elle illustre, par ailleurs, comment de fortes divergences de vues initiales peuvent être dépassées, voire sublimées et mobiliser des ressources chez les acteurs. Elle aborde également la problématique de l’évaluation en continu d’un dispositif et la mise en œuvre d’ajustements.
Mandant
Mission
Coconstruire, à trois, un module de formation. Le professeur responsable de module1 veut dispenser la formation sous forme de journées de cours et d’ateliers en présentiel. Un collègue2 et moi souhaitons privilégier le Blended-Learning (apprentissage hybride ou mixte).
Comme toujours, les contraintes sont multiples. Je m’arrête sur :
- Négocier un changement de paradigme radical avec le responsable de module
- Développer, avec un pair, une ingénierie de formation totalement novatrice
1 Pierre (prénom d’emprunt)
2 Robert débute également dans ce dispositif (prénom d’emprunt)
Modalités d’interactions
Les lignes qui suivent pointent essentiellement quelques intersubjectivités et quelques-uns des enjeux qui les sous-tendent. Je me tiens évidemment à disposition des personnes qui souhaiteraient avoir davantage d’informations sur les contenus.
Lorsque je rejoins ce dispositif, je suis d’emblée frappé par de nombreuses asymétries avec lesquelles je dois composer. Mes collègues travaillent à plein temps à l’IFFP, y ont leurs réseaux, leurs habitudes et leurs bureaux ; je suis mandataire externe. Pierre – qui est institutionnellement mon supérieur hiérarchique – veut peu ou prou reproduire en présentiel des pratiques rôdées alors que, pour différentes raisons, Robert et moi souhaitons privilégier une approche mixte. Si ces premières dissymétries me paraissent à première vue défavorables, je compte bien les compenser par ma réalité professionnelle : Les étudiant·e·s sont des pairs. Comme moi, ils·elles enseignent au secondaire II alors que Pierre et Robert sont des formateurs au niveau tertiaire, parfois perçus comme déconnectés du terrain. Fort de ces constats, c’est un mandataire quelque peu intimidé mais galvanisé qui prend place autour de la table.
Si l’espace de parole est ouvert et les échanges à la fois riches et stimulants, il s’agit d’être convaincant pour faire admettre, d’entrée de jeu, un principe selon lequel tous·tes les étudiant·e·s inscrits dans le même cursus ne suivent pas rigoureusement les mêmes cours ; et ne sont pas évalués selon les mêmes modalités. Dit autrement, comment démontrer, à priori la plus-value, en termes d’efficience, de l’enseignement hybride ?
Les échanges ne débutent pas sous les meilleurs auspices : Pierre – est-ce pour asseoir son rôle de leader institutionnel du dispositif ? – nous demande sans ambages de prendre une feuille et d’expliciter notre représentation de ce qu’est une compétence. Nous nous exécutons puis confrontons nos représentations. Elles semblent coïncider avec ses attentes ; nous sommes donc habilités à nous investir dans ce module de formation. L’agacement de Robert – s’est-il senti infantilisé, voire humilié ? – n’a d’égal que le doute qui m’assaille : puis-je travailler dans un tel climat ? pourrons-nous coconstruire un dispositif de formation attractif, performant et respectueux des valeurs de chacun ? Il faut plusieurs minutes et quelques interventions ponctuées d’une pointe d’humour pour détendre l’atmosphère. Fort heureusement, les échanges portent maintenant sur l’évaluation qui constitue le thème du module à enseigner et sur les modalités de nos prestations respectives telles que nous les envisageons, à savoir présentiel vs Blended-Learning. Le professionnalisme de chacun reprend le pas sur les émotions et d’autres éléments significatifs et intéressants émergent. Pierre argumente son attachement au présentiel qui a fait ses preuves et se dit prêt à en reconsidérer l’agencement – son ouverture est sincère. Robert avance plusieurs solides arguments en faveur de l’enseignement mixte. Même si ma position est claire et connue, dans un premier temps, j’observe ; et tente de déceler ce qui se joue entre eux, au-delà de l’approche didactique. L’un et l’autre m’interpellent du regard, semblent chercher un acquiescement ou pour le moins attendent une réaction ; des alliances implicites se font et se défont à réitérées reprises. Lorsque je prends la parole, je perçois une attention particulière : les deux collègues de travail ne me connaissent pas beaucoup. Je les sens prêts, malgré leurs nombreuses divergences, à faire front commun si mes interventions devaient heurter leurs pratiques habituelles. Les négociations durent mais l’idée selon laquelle ce module sera dispensé selon des modalités différentes progresse et les échanges prennent de la hauteur. Pour le dire brièvement, la maîtrise de la culture institutionnelle de Robert et quelques apports liés à mes expériences antérieures amènent Pierre à accepter ce principe. Son accord est subordonné – et c’est parfaitement compréhensible – à la présentation d’un concept de Blended-Learning cohérent et en tout point respectueux des plans de formation. En tant que responsable de ce module, Pierre est le garant de la justice, de l’équité, de l’éthique et des diverses dimensions déontologiques mises en jeu dans ce dispositif.
Dix jours après la négociation tripartite, Robert et moi nous retrouvons pour une première séance de travail – le reste se fera à distance – consacrée à l’ingénierie de cette formation hybride. Ce délai, bien que très court, s’est révélé riche en recherches et réflexions ; et fécond en ébauches et projets. Chacun a, de son côté et sans concertation, préparé une maquette du dispositif. Comme dit dans le préambule de ce projet, il ne s’agit pas ici de détailler par le menu les modalités du dispositif de formation. Toutefois, à titre indicatif, je précise que ce module compte pour 5 crédits ECTS (~ 150 heures) et qu’en présentiel, il est dispensé sur 7 journées réparties sur une période de 3 mois. Le schéma ci-dessous pointe différentes facettes du Blended-Learning que Robert et moi prenons soin d’articuler afin de présenter à Pierre un dispositif respectueux du plan de formation, attractif et efficient.
Pour ce faire, nous soumettons chacune des composantes de l’enseignement mixte aux questions d’une technique d’analyse implacable et prodigieusement efficace : la méthode QQOQCCP ( Quoi ? Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Combien ? Pourquoi ?). Cette phase d’élaboration du concept s’avère passionnante. Le défi est extrêmement stimulant et la dynamique de création fonctionne à plein régime. Nous utilisons les outils collaboratifs que nous souhaitons implémenter dans notre Blended-Learning. La temporalité, notamment le rythme de nos interactions nous interpellent ; nous décidons d’en faire un point d’attention à discuter avec nos étudiant·e·s. Nos représentations et objectifs concordent et les moyens de les atteindre coïncident dans une large mesure. Nous décidons donc de soumettre notre concept à Pierre lors d’une rencontre … et obtenons son feu vert. Je renonce ici à gloser sur la justesse de notre travail. Toutefois, je tiens à clore ce paragraphe par quelques questions : Pierre nous attend-il au tournant ? Quels sont les indicateurs et/ou critères qui feront opter les étudiant·e·s pour le présentiel ou l’enseignement hybride ? Quid de nos postures respectives lorsque les étudiants choisissent un dispositif et/ou rejoignent un animateur ; complices ou concurrents ? Et si la mayonnaise ne prenait pas en Blended-Learning ?
Résultats
Ce dispositif de formation hybride est mis en œuvre parallèlement à un cours dispensé en présentiel plusieurs années consécutives. Les éléments qui suivent émanent de la première session dont je survole quelques « moments » significatifs.
D’emblée, nous convenons de fixer les 1e et 7e journées en présentiel. Nous coanimons la présentation du module, précisons nos intentions, négocions certaines modalités de travail, annonçons les conditions et méthodes d’évaluation retenues, configurons et testons les outils collaboratifs, formons les groupes dont Robert et moi assumerons prioritairement le coaching, invitons les étudiant·e·s à constituer des sous-groupes, etc. La quête d’efficience du dispositif et la valorisation de l’autonomie des candidat·e·s constituent pour nous deux composantes majeures et transversales ; les étudiant·e·s le perçoivent et s’en réjouissent.
Pour Robert et moi, les semaines qui suivent sont intenses et les sollicitations des étudiant·e·s extrêmement nombreuses. Sauf demande explicite d’un·e candidat·e, tous les échanges sont accessibles à chacun·e. Cette mutualisation des informations crée une belle émulation, certes entre les étudiant·e·s mais également entre Robert et moi. Lorsque, sur un forum par exemple, nos analyses et/ou propositions semblent diverger quelque peu, l’un·e ou l’autre étudiant ·e ne manque pas de le souligner et de nous obliger à préciser, argumenter ou étayer au plan conceptuel. Ce jeu est intensément stimulant et les étudiant·e·s, soucieux·ses de leur image de soi acceptent que nous les confrontions de façon comparable. Après quelque 6 semaines, nous organisons une journée présentielle facultative. Pour certain·e·s, retrouver ses pairs et/ou les animateurs en chair et en os correspond à un besoin impérieux : garder le lien permet de limiter l’ennui et la solitude, rassure quant à la valeur de son travail, etc. Les contraintes liées à la pandémie Covid – la conception de ce dispositif est antérieure à cette crise sanitaire – ont permis à chacun·e d’expérimenter sa propre « résistance à la solitude dans le travail». Pour toutes et tous, la dynamique se prolonge jusqu’à la fin du dispositif – et c’est presque une heureuse surprise pour Robert et moi. Les synergies sont multiples : entre les étudiant·e·s au sein des sous-groupes, entre les sous-groupes, entre le groupe de Robert et le mien, entre le présentiel et le mixte, entre Pierre, Robert et moi ; et constituent un atout incontestable des configurations évoquées. Le 7e jour se déroule en présentiel et les échanges sont à la fois riches, francs et généreux. Le bilan est positif et les étudiant·e·s attendent le résultat de leur travail de validation avec confiance.
Désamorcer des conflits
Si la monnaie est la devise des transactions commerciales, la confiance est celle des interactions humaines. Autoconfrontation simple et croisée, instruction au sosie, réflexions et jeux de rôles autour du triangle de Karpman, écoute active, gestion des émotions, constituent quelques-uns des outils convoqués ici pour identifier les causes du conflit, questionner les compétences tant personnelles que professionnelles, proposer des pistes d’amélioration et restaurer le lien de confiance – en soi et en l’autre.
Mandant
Salon Rebarb-à-tif1
1 Raison sociale d’emprunt
Mission
Désamorcer, voire résoudre des conflits entre employé·e·s, harmoniser la communication et améliorer l’image auprès de la clientèle.
Cette situation apparemment banale s’avère – comme c’est pratiquement toujours le cas – riche en éléments d’analyse et en pistes de développement individuel et collectif.
Modalités d’interactions
Méfiance, déni, hostilité à peine voilée sont quelques-uns des obstacles inhérents à ce type de situations que je dois lever pour débuter mon travail dans cette entreprise. Si la monnaie est la devise des transactions commerciales, la confiance est celle des interactions humaines.
L’approche que je suggère est la suivante : un entretien individuel d’une heure environ (avec prise de notes et/ou trace vidéo), un délai d’analyse personnelle des informations récoltées, des autoconfrontations simples ou croisées où je me cantonnerai dans une posture de mandataire, une séance plénière au moins et très certainement, des propositions d’actions individuelles et/ou collectives. Dire que je n’obtiens pas une adhésion unanime et enthousiaste est un doux euphémisme ; qu’importe, le contexte délétère exige une intervention extérieure urgente. Après quelques jours de réflexion et, je l’apprendrai rapidement, de concertation avec ses employé·e·s, la patronne du salon – ma mandante – m’accorde l’autorisation d’organiser des entretiens sur le temps de travail. Lorsque je l’en remercie et lui précise que c’est à elle qu’échoit l’honneur d’être la première personne à se prêter au jeu, je décèle un trouble évident : s’agit-il d’une gêne momentanée ? imagine-t-elle être totalement extérieure aux conflits qui péjorent l’activité de son entreprise ? redoute-t-elle de révéler certaines incompétences en termes de gestion de son équipe ? là n’est pas l’essentiel : au travail !
L’écoute active – merci Monsieur Rogers – constitue la méthode que je retiens pour la première phase de chacun des entretiens. L’intérêt et l’empathie que je témoigne à chacun·e estompent peu à peu la méfiance, libèrent la parole et laissent émerger les émotions. Les accusations virulentes et souvent infondées font progressivement place à plus de lucidité et de nuance.
Pour affiner et enrichir ma récolte d’informations et d’indices, je complète la phase d’écoute active par d’autres stratégies empruntées à l’analyse transactionnelle et à l’analyse du travail. Un premier constat s’impose : il faut que je parle du triangle de Karpman (ou triangle dramatique : persécuteur – victime – sauveur) lors d’une séance plénière.
Après les quelque 10 heures passées auprès de la cheffe d’entreprise et des 6 employé·e·s du salon, je dresse un bilan intermédiaire ; ce que je m’interdis toujours de faire avant d’avoir vu tout le monde. Les rôles à la fois changeants et ambigus qu’endossent la plupart de mes interlocuteurs sont un élément constitutif des scénarios relationnels. La manipulation plus ou moins consciente et/ou délibérée fait, elle aussi, partie de cette même dynamique dramatique. La véhémence de certains propos et l’amplitude des émotions exprimées, souvent seules aux commandes, m’amènent à esquisser de nombreux dispositifs d’autoconfrontations croisées : qui dois-je voir seul·e ? faut-il se limiter à deux employé·e·s ? la patronne peut-elle, doit-elle, prendre part à l’une ou l’autre séance ? si oui, participe-t-elle comme supérieure hiérarchique ou comme actrice des interactions sociales ? etc.
Les séances se suivent à quelques jours d’intervalle dans un ordre que chacun·e ou presque a tendance à surinterpréter. Les autoconfrontations simples sont faciles à gérer : mes interlocuteurs·trices les vivent comme une occasion supplémentaire d’exprimer des souffrances personnelles. La conduite des autoconfrontations croisées s’avère plus subtile et délicate : je dois prévenir, voire désamorcer certains échanges possiblement conflictuels. La patronne assiste à deux séances d’autoconfrontations croisées. Lors de la première, je la sens même soulagée de pouvoir s’exprimer librement. Elle est prise à partie lors de la seconde et c’est plus compliqué pour elle. Globalement, les points d’attention et d’amélioration portent clairement sur les compétences sociales, fortement déficientes chez certain·e·s. Les compétences métiers sont ostensiblement lacunaires chez une jeune collaboratrice.
La suite du dispositif est abordée ci-dessous.
Résultats
La séance plénière se déroule, environ 2 mois et demi après ma première visite, dans un climat apaisé. Les nombreux échanges ont visiblement permis à chacun·e d’exprimer ses doutes, ses frustrations, son manque de reconnaissance, ses ressentis, ses peurs, ses sentiments d’injustice ; en un mot, sa souffrance au travail, comme Christophe Dejours l’a si bien étudiée et décrite.
Lorsque j’évoque, avec une confidentialité absolue, quelques éléments marquants, génériques et transversaux issus des entretiens individuels et des séances d’autoconfrontations simple ou croisées, le sentiment qui prédomine est le soulagement ; et des langues se délient : « ah bon, je ne suis donc pas seul·e à souffrir de ça ? mais alors, lui aussi, ça le blesse ? oh ben m… je ne pensais jamais lui faire du mal, j’voulais juste lui rendre service, etc. ». Comme je m’étais promis de le faire, j’aborde, en tentant de simplifier mon propos, le triangle de Karpman et m’aide d’un schéma. Les réactions vont de la surprise à la dénégation, des hochements de tête approbateurs aux questions personnelles ; auxquelles je refuse de répondre en plénum. J’enchaine avec quelques éléments théoriques relatifs à la communication non violente. Certain·e·s se montrent intéressé·e·s et sollicitent des conseils et outils prêts à l’emploi. Afin d’asseoir l’autorité et la légitimité de la patronne – elle en a grand besoin – je mets un terme à la séance en annonçant que je lui communiquerai les propositions d’actions individuelles et collectives et qu’il lui appartiendra de les mettre en œuvre. Je remercie chaleureusement les un·e·s et les autres, formule mes meilleurs vœux pour leur avenir personnel et professionnel et prends congé. Globalement, la patronne saisit bien de nombreuses dimensions des sources de tensions qui ont contribué à la dégradation de la communication dans son salon et généré tant de conflits. Les actions individuelles qu’elle conduit reçoivent un accueil plutôt favorable de la part d’employé·e·s qui se sentent davantage reconnus dans leur singularité. Une employée dont les compétences professionnelles et sociales sont déficientes peine à entrer dans cette nouvelle dynamique. Une investigation plus approfondie confirme que le développement des compétences professionnelles s’est heurté à de sévères carences au niveau des compétences générales ; et ce genre de constats est fréquent. L’action collective la plus productive mise en place consiste en une séance plénière hebdomadaire, autour d’un café – les employé·e·s rivalisent d’originalité et d’habileté pour agrémenter ces moments avec quantité de douceurs. Les problèmes sont abordés, discutés en toute transparence et la concertation permet que la solution retenue soit partagée ou, pour le moins, comprise.
Éviter la rupture
En Suisse, le burn-out n’est pas reconnu comme maladie professionnelle. « Les arrêts maladie pour burn-out ont explosé depuis 2012 », « Plus de 40% des enseignants seraient en situation de burn-out ». Ce projet revisite et analyse les différentes étapes qui ont abouti à l’élaboration d’un projet d’accompagnement pédagogique. Il questionne la posture de l’accompagnateur et délimite son champ d’intervention. Il explore et définit des modalités d’interactions et favorise la dynamique pédagogique au sein des écoles. Il éclaire les coûts humains, tant pour l’enseignant·e en rupture que pour les dizaines, voire les centaines d’apprenant·e·s impacté·e·s.
Mandant
Mission
Élaborer un concept d’accompagnement pédagogique pour prévenir le décrochage des enseignant·e·s ; et les dégâts collatéraux chez les apprenant·e·s. Dit quelque peu brutalement : de longs mois, voire des années, de souffrance et d’inconfort chez l’enseignant-e péjorent la qualité de son enseignement et, conséquemment causent des préjudices à plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d’enseigné·e·s. Le mandat initial m’est attribué par le CEJEF, pour le secondaire II ; il est ensuite élargi à l’ensemble de l’école jurassienne avant d’être étendu à l’espace BEJUNE.
Quel que soit le projet qu’il s’agit de mener à bien, les contraintes sont multiples. Elles le sont d’autant plus ici que le(s) mandant(s) change·nt au fil du temps. L’articulation de mon propos est la suivante :
- Brève contextualisation
- Projet CEJEF
- Dispositif « école jurassienne »
- Quid dans l’espace BEJUNE et de l’implication de la HEP ?
Modalités d’interactions
Les lignes qui suivent pointent essentiellement quelques intersubjectivités et quelques-uns des enjeux qui les sous-tendent. Je me tiens évidemment à disposition des personnes qui souhaiteraient avoir davantage d’informations sur les contenus.
Plusieurs évènements concourants qu’il ne m’apparait pas essentiel de développer ici, favorisent l’émergence de ce mandat. Plutôt que de tenter de créer un concept ex nihilo, j’entreprends de nombreuses démarches de prospection, organise de multiples rencontres et effectue bon nombre d’analyses comparatives approfondies des différents dispositifs déployés en Suisse Romande ; et bien au-delà. Deux modèles sont susceptibles d’être sources d’inspiration pour répondre à nos besoins. Ceux-ci sont évalués, grâce à une utilisation avisée des outils de l’analyse du travail, selon des axes descendants et ascendants. Dit autrement, la première approche se fait avec les concepteurs de ces structures afin de comprendre leurs motivations ainsi que les rouages de leurs systèmes. Ensuite, le même type d’exploration est répété en questionnant tant les acteurs engagés dans ces structures que les usagers ou bénéficiaires de ces dispositifs. Ces précieux renseignements sont ensuite complétés par des démarches similaires au niveau HES et, dans une dernière étape, en compilant des travaux issus de la recherche fondamentale en matière d’accompagnement pédagogique.
Quel que soit le terme par lequel on désigne la personne qui intervient dans une classe – ou dans tout autre dispositif – sa présence a quelque chose de possiblement intrusif. L’enseignant·e peut se sentir remis·e en cause tant dans son image de soi que vis-à-vis de ses élèves. Si l’intervenant·e n’a pas les compétences sociales nécessaires et/ou si les modalités de ses actions ne sont pas congruentes, le remède risque fort d’être pire que le mal. Afin de ne pas allonger inutilement mon propos, je vais me borner maintenant à lister sous forme d’interrogations, quelques-unes des questions auxquelles le modèle élaboré à dû apporter des réponses concrètes et argumentées : A qui l’accompagnement pédagogique est-il destiné ? Quel est profil professionnel des conseillers·ères ou accompagnateurs·trices pédagogiques ? Quels sont les déclencheurs de leurs interventions ? Quelles sont les modalités de leurs actions auprès des enseignant·e·s ? Quelles sont les limites de leurs propositions de remédiation ? Quelle est la durée de la procédure d’accompagnement ? A qui doivent-ils·elles, dans le respect de la confidentialité, restituer des informations ? Quelles sont les personnes ou structures susceptibles de prendre le relai lorsque les problèmes débordent le champ des compétences pédagogiques et/ou sociales ? etc.
La posture de l’accompagnateur·trice doit être celle d’un·e mentor·e et la dimension formative de ses interventions doit être privilégiée, voire exclusive. Or, lorsque mon mandat m’amène à prolonger ma réflexion pour configurer un modèle qui puisse s’appliquer à l’ensemble de l’école jurassienne, je rencontre des conseillers·ères pédagogiques dont le cahier des charges prévoit 2/3 d’interventions formatives et 1/3 d’évaluation normative. Dit autrement, l’accompagnateur·trice se coiffe soudainement d’une casquette d’inspecteur·trice et, tel César qui décide du sort des gladiateurs, scelle le sort d’un·e collègue qu’il·elle a accompagné·e dans une attitude généreuse et bienveillante. Cette posture n’est pas tenable pour le·la conseiller·ère et fortement inhibitrice des potentialités de développement de l’enseignant·e accompagné·e.
Plusieurs rencontres avec le recteur de la HEP-BEJUNE et les responsables de l’IFFP débouchent sur une solution parfaitement en adéquation avec nos besoins et dont l’efficience s’impose comme une évidence. Le mandat de l’accompagnateur·trice pédagogique comporte un volet d’intervention au sein de la HEP ou de l’IFFP, selon le profil de l’enseignant·e accompagné·e. Ce lien avec une haute école renforce à la fois la visibilité et la légitimité de l’accompaganteur·trice pédagogique. Lorsque les procédures de remédiation proposées et soutenues par le·la conseiller·ère n’ont pas permis à l’enseignant·e d’atteindre ou de recouvrer un niveau de pratiques professionnelles de qualité, l’une ou l’autre des hautes écoles délègue un·e expert·e qui procède à une évaluation normative ; et adresse des propositions à la direction de la division et/ou du CEJEF.
Résultats
Le modèle retenu répond prioritairement aux besoins du secondaire II et des adaptations sont en place pour l’école obligatoire. Il s’articule autour de deux structures. Pour la première, toutes les démarches entreprises relèvent d’un accompagnement formatif. Pour la seconde, l’accompagnement revêt une dimension normative. Les intervenant·e·s peuvent par exemple exiger des enseignant·es qu’ils·elles suivent une formation complémentaire. Dans les deux configurations, les rapports coconstruits par l’enseignant-e et l’accompagnateur ·trice pédagogique restent confidentiels.
Les dispositifs mis en place visent également à favoriser la dynamique pédagogique au sein des écoles et d’induire d’autres interactions au sein du corps enseignant. Citons, à titre d’exemples, deux pratiques appréciées et propices tant au développement des compétences qu’au renforcement de la culture d’établissement : la mise sur pied « d’ateliers d’analyse des pratiques » et la généralisation, voire l’institutionnalisation des visites de terrain croisées.
Je laisse la conclusion de ce projet à ma mandante : « Certes, le conseil pédagogique a un coût. Mais les conséquences financières d’une rupture ou du décrochage d’un·enseignant·e sont plus importantes encore. L’arrêt de travail exige l’engagement d’un·e remplaçant·e, souvent sur une longue durée. L’enseignant·e en burn out a besoin de soins ; dans certains cas, d’une reconversion professionnelle et, fort heureusement plus rarement, c’est l’AI qui doit prendre le relai. Si l’on peut évaluer les conséquences économiques des éléments précités, il est beaucoup plus complexe d’en estimer les coûts humains, tant pour l’enseignant·e en rupture que pour les dizaines, voire les centaines d’apprenant·e·s impacté·e·s ».
Réaliser son rêve
Un suivi qui s’étale sur plus de 12 ans, ça n’est pas ordinaire ! Y a-t-il des critères infaillibles qui permettent d’évaluer la qualité d’un projet ? quels sont les ressorts de la motivation – tant chez la personne accompagnée que chez l’accompagnateur ? comment articuler et doser ses interventions pour développer au maximum l’autonomie du porteur du projet tout en lui assurant un soutien adéquat et indéfectible ? à quel moment et selon quelles modalités le coach doit-il élargir le réseau du coaché ? quels sont les rôles de chaque intervenant sur une si longue période ? et comment évoluent-ils ? Vous trouverez quelques éléments de réponse en cliquant sur le bouton 😉.
Mandant
SuperBât SA1
1 Raison sociale d’emprunt
Mission
Permettre à un apprenti de concrétiser son rêve. Cette situation est particulière en ce sens que lorsque mon engagement de maître professionnel prend une tournure particulière, personne ne me confie de mandat … et SuperBât SA n’existe que dans les aspirations viscérales d’un apprenti. Tout a débuté de façon ordinaire, voire banale : Systématiquement, lorsque l’on me confie une nouvelle classe, j’accorde un soin particulier à l’accueil et imagine des modalités de présentation personnelle qui permettent à chaque apprenant·e de parler, notamment, de ses buts. La recherche a largement démontré les vertus du projet comme source de sens et de motivation. Pedro manifeste un enthousiasme débordant ; sa passion, dit-il, remonte à sa plus tendre enfance ; et il sera entrepreneur dans le bâtiment.
L’une des principales caractéristiques de cette situation réside dans sa temporalité ; la concrétisation du rêve de Pedro1 est plausible, mais à … plus de 10 ans. La spécificité du contexte limite drastiquement la palettes de mes outils d’intervention. Toutefois, après moult tergiversations, je prends un engagement en trois phases :
- Soutenir la formation initiale
- Encourager la formation supérieure
- Favoriser la création d’entreprise et donner de la visibilité à l’entrepreneur
1 Prénom d’emprunt
Modalités d’interactions
La posture que j’adopte dans cette circonstance est celle de coach et mes contributions sont épisodiques, en fonction des sollicitations de Pedro. Je vais donc succinctement pointer chronologiquement quelques-unes de mes implications – certaines sont ordinaires – dans ce long parcours.
Durant la formation initiale, par des échanges réguliers avec les enseignants des branches professionnelles ainsi qu’avec le maître d’apprentissage, je renforce la cohésion autour de l’apprenti. Il se sent alors reconnu et considéré. Le collectif œuvre au renforcement de la confiance en soi, au développement de son identité professionnelle et de son autonomie. En lieu et place de cours de soutien, dont il n’a pas réellement besoin, je suggère à Pedro de rencontrer occasionnellement, voire régulièrement d’autres apprenti·e·s pour faire ses devoirs. Cette manière de procéder soutient la motivation, favorise la confrontation des idées et offre des ressources précieuses en termes de savoirs et de connaissances. Pedro progresse mais peine à comprendre et surtout à admettre la planification que son projet m’inspire. Plusieurs rencontres sont nécessaires pour qu’il adhère progressivement à l’idée qu’un CFC atteste de compétences manuelles et théoriques mais ne confère pas l’expertise nécessaire pour gérer une entreprise et/ou diriger une équipe.
Avant d’inviter Pedro à se renseigner sur les parcours professionnels des entrepreneurs qu’il connaît, je le déconcerte par cette injonction : « Pedro, vous avez deux semaines pour trouver les raisons principales des faillites des jeunes entrepreneurs ; on se retrouve ici et on en reparle ». Quinze jours plus tard, la cause est entendue, les derniers lambeaux de naïveté sont envolés : Pedro sait qu’il va suivre d’autres formations ! Les professionnels du bâtiment prennent la relève ; et c’est tant mieux : à chacun son métier ; et ses réseaux. L’admission à la formation de contremaitre maçon est exigeante : 4 ans d’expérience professionnelle dans le bâtiment, dont 3 ans en tant que chef d’équipe. L’âge minimum recommandé pour le diplôme fédéral d’entrepreneur-construction est de 28 ans et le coût de la formation est supérieur à CHF 20’000. Durant toutes ces années, Pedro va travailler dans plusieurs entreprises ; il va enrichir ses connaissances et élargir ses compétences. Nous restons en contact et ceux-ci demeurent cordiaux. Ponctuellement, je sollicite mon réseau pour aider Pedro, soit pour des soutiens théoriques soit pour des aides logistiques.
Dans la mesure où l’ultime phase de mon engagement coïncide avec la concrétisation du rêve lui-même, je la relate ci-dessous.
Résultats
Les premières rencontres sont chargées d’émotions : « Tu te rappelles, Pedro, quand j’te parlais d’un projet à dix ans au moins, tu ne voulais pas le croire ; tu t’es même fâché, la première fois … ». L’homme qui me fait face n’a rien perdu de sa fougue et de sa détermination. La maturité n’a pas émoussé son enthousiasme et les deux projets qui s’offrent à lui donnent lieu à de riches échanges. Les considérations techniques ont été discutées au préalable avec des professionnels du bâtiment ; c’est autre chose que Pedro attend de moi … Pour le dire brièvement, nous travaillons à la réalisation d’une espèce de tableau croisé où j’invite Pedro à analyser les points d’intersection entre ses aspirations les plus profondes et … les principales causes de l’échec des jeunes entrepreneurs. Nous voilà rajeunis de quelque 12 ans ! nous sourions de concert. L’exercice est ardu mais efficient. Au fil des discussions, l’alternative retenue s’impose presque comme une évidence. Les caractéristiques de l’entreprise à naître se précisent de semaine en semaine. Mes dernières contributions à ce projet sont modestes : je soutiens Pedro dans la rédaction de documents officiels et/ou publicitaires. Certes, les médias locaux, selon des modalités que nous coconstruisons, servent de vitrine à la jeune entreprise, mais très rapidement, le bouche à oreille déploie ses meilleurs effets. Aujourd’hui, les qualités humaines et professionnelles de Pedro font de lui le patron apprécié d’une entreprise prospère.
Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve une réalité
Antoine de Saint-Exupéry
Évaluer pour agir
Ce projet constitue un mandat extrêmement complexe. D’une part, les résultats que j’obtiendrai et les réponses que je fournirai à mon mandant scelleront le sort professionnel, voire personnel de la personne accompagnée. D’autre part, cette dernière est prisonnière de ses émotions, en souffrance dans sa pratique professionnelle et … pratiquement bannie par ses pairs. Il s’agit, en peu de temps : d’apprivoiser la personne en détresse et l’assurer de ma loyauté, notamment vis-à-vis de mon mandant, mettre en place des modalités d’évaluation de sa situation professionnelle, imaginer et déployer des activités de développement de compétences professionnelles et sociales, réunir des indices de sa progression et faire un rapport à sa hiérarchie.
Mandant
Mission
La direction d’une division du CEJEF me contacte : « Avec Madame Line Adéquate1, ça ne va pas du tout ! et personne, à l’interne, n’accepte de la coacher. La situation est très complexe ». On me demande si je suis disposé à intervenir dans cet environnement. Pour le dire brièvement, et comme souvent, le mandat est plurifactoriel. Ici, je tiens à éclairer les axes suivants :
- Évaluer les potentialités de développement de l’enseignante
- Apporter des éléments factuels à la direction pour l’aider à soutenir cette collaboratrice ou à argumenter une décision de licenciement
- Développer les compétences méthodologiques de l’enseignante
- Stimuler ses compétences sociales vis-à-vis de ses collègues
1 Nom d’emprunt
Modalités d’interactions
Compte tenu des informations reçues et de la complexité de la situation, je fixe un premier rendez-vous à Line, hors des murs de sa division. Je ne veux pas que notre première rencontre, dont je ne peux pas présager la suite, la stigmatise encore davantage sur son lieu de travail.
Peurs, révolte, honte, détresse, méfiance, nervosité, lueurs d’espoir, doutes, souffrance sont quelques-uns des sentiments qui se dégagent de Line et m’assaillent dès les premiers instants. Suis-je capable d’apprivoiser cette collègue ? Après de brèves présentations plus formelles que chaleureuses, un lourd silence s’installe ; et je le laisse se déployer. Je crois aux vertus du silence en général et compte bien exploiter ici les conséquences de la forme la plus élémentaire de décision prise lors d’un silence interactif, à savoir : qui prendra la responsabilité de parler.
« Qu’est-ce qu’elle vous a dit ? Elle veut m’virer ?
- Je vous répondrai, promis ; mais c’est vous que je souhaite entendre. Comment ça va ?
- J’en peux plus ! J’ai l’impression que je n’y arriverai pas ; et pis les apprentis, j’me d’mande c’qu’ils ont dit. Et j’ai personne à qui parler. Pourquoi elle vous a appelé ?
- Madame, je vous propose que nous reprenions calmement vos différentes préoccupations. Mais vous, maintenant, que souhaitez-vous ? Êtes-vous d’accord que nous essayions de faire un petit bout de chemin ensemble ? J’ai besoin de savoir ce que vous attendez de moi : il en va de ma loyauté vis-à-vis de vous, naturellement et de votre direction qui m’a sollicité [… ] ».
Ce premier entretien dure plus d’une heure et permet à Line de vider son sac et à moi de commencer à la rassurer. L’une des principales craintes exprimées réside dans la peur du licenciement. Tout en relevant l’imbroglio dans lequel elle s’est fourrée et sans nier ce risque, j’argumente : si la direction me sollicite, c’est que, d’une part, la décision du renvoi n’est pas prise et que, d’autre part, elle croit en la potentialité de Line de s’amender. Il faut du temps à mon interlocutrice pour appréhender toute la bienveillance dont son employeur a fait preuve en requérant une aide extérieure. Je quitte une collègue ébranlée en ces termes : « Merci infiniment pour votre franchise ! Vous pouvez m’envoyer un mail ou m’appeler si vous avez des questions. Dès que vous aurez pris votre décision, je vous prie de me signifier votre accord pour un travail collaboratif dont nous négocierons les termes ou me faire savoir que vous déclinez l’offre. Je vous souhaite une bonne continuation. Une chose encore, je ne transmettrai aucune information à votre hiérarchie avant que vous m’ayez répondu et sans votre accord ».
Le premier courriel me parvient nuitamment, deux jours après notre première rencontre. Line ne donne aucune réponse formelle quant à la suite qu’elle entend donner à ce processus naissant. Toutefois, tant le ton que le fond des questions qu’elle (me) pose me prouvent qu’elle chemine. Quelle que soit sa décision finale, j’éprouve une réelle satisfaction : nos échanges ont permis de débloquer la situation. Par retour de mail, je salue la pertinence des questions qu’elle se pose ; et souligne combien je suis heureux de me camper dans la posture d’un interlocuteur virtuel de son dialogue intérieur ; et que, par conséquent, je m’abstiens de réagir.
Ma stratégie poursuit deux objectifs, essentiels selon moi, dans tout processus d’accompagnement : d’une part, valoriser les ressources de la personne accompagnée et, d’autre part et prioritairement, faire en sorte qu’elle les identifie puis les convoque pour être actrice de sa progression. Dit plus trivialement, je refuse d’être un coach qui pédale alors que le·la coaché·e somnole sur le porte bagages.
Cet épisode marque un tournant dans la situation de cette collègue en situation délicate. Plusieurs téléphones précèdent une nouvelle rencontre, à nouveau hors de son établissement. Progressivement, Line baisse sa garde, abandonne sa posture défensive. Des points d’attention, des pistes d’amélioration et des modalités d’action émergent et se précisent.
La direction de la division me demande un retour. Je le diffère légèrement car je veux voir Line en classe pour compléter et affiner l’image que je me fais de cette collègue. En quelques jours, j’assiste à trois leçons très différentes, tant par le public que par les matières enseignées. Les débriefings sont riches et je suis prêt à fournir des éléments factuels à la direction. Je révèle le contenu de ce compte rendu à la principale intéressée et lui annonce, par la même occasion, que je planifierai très prochainement une séance tripartite avec sa hiérarchie. Line exprime une certaine réticence que je lève en précisant qu’il ne s’agit pas d’une audience de tribunal et en lui rappelant quelques-unes des composantes du contexte. Elle n’est pas sereine, mais comprend qu’elle n’a pas le choix et m’assure de sa disponibilité intérieure.
Au cours de cette réunion, nous abordons très ouvertement les nombreuses facettes des problèmes rencontrés par Line. Les échanges sont extrêmement respectueux et bienveillants ; le climat de travail est propice à la mise en place de solutions équitables et efficientes. Je suis déconcerté par l’aisance avec laquelle cette collègue si réservée il y a un mois et demi parvient à exprimer ses ressentis, à nuancer ou corriger nos hypothèses et/ou interprétations des choses et à formuler ses besoins.
Résultats
Les axes de travail sont multiples et les domaines de compétences que Line doit développer sont nombreux. Par conséquent, je propose toute une série de mesures qui, selon moi, doivent permettre que tout rentre dans l’ordre.
La direction accepte de réduire le pensum de Line, sans toutefois que cela impacte son traitement. Le carnet du lait de l’enseignante sera à découvert et elle dispensera davantage de leçons lorsqu’elle aura recouvré un plus grand confort et une plus grande efficience au travail. Cette réduction de la charge de travail doit atténuer la pression qui l’écrase.
Un collègue de Line, dont j’apprécie les compétences professionnelles et relationnelles et avec lequel j’entretiens de bons rapports, se charge de la soutenir comme didacticien de domaine. En proposant sa contribution, je poursuis deux objectifs complémentaires : augmenter la justesse des interventions de l’enseignante auprès de ses apprenant·e·s et l’intégrer en salle des maîtres où elle n’a pas pu ou voulu trouver sa place. Pour ma part, je poursuis mon accompagnement avec un axe de travail privilégiant la relation enseignante – enseigné·e·s. Les progrès de Line sont réels : les échos qui me parviennent tant de ses apprenant·e·s que de ses collègues ou de sa hiérarchie confirment que cette collègue progresse sur le long chemin que nous avons balisé ensemble. J’espace mes interventions puis les suspends : le dispositif mis en place pour elle est conséquent et je veux à tout prix privilégier le développement de son autonomie et ne pas sombrer dans les dérives de l’assistanat.
Construire une identité professionnelle
Mentor, vous avez dit mentor ?
Un rôle qui s’articule autour d’une succession d’interactions dynamiques et réciproques où chacun·e s’expose, donne à voir ses pratiques, révèle ses forces, mais également ses doutes et ses inconforts, voire ses souffrances. Une relation hors du commun en ce sens que si l’intime n’a guère sa place dans la sphère professionnelle, il y a une relation spéciale qui brouille les frontières : c’est celle qui lie un mentor à son·sa mentoré·e. Et vice versa.
Mandant
Mission
Épauler, en tant que collègue de proximité, des enseignant·e·s novices. Le mentor n’occupe pas de fonction hiérarchique par rapport à l’étudiant·e. J’assume ce type de mandat régulièrement depuis de très nombreuses années. Les lignes qui suivent mettent en évidence une espèce de tronc commun à toutes ces expériences et rencontres ; et sont ponctuées d’anecdotes susceptibles d’éclairer plus spécifiquement certaines intersubjectivités.
Modalités d’interactions
Les enseignant·e·s à plein temps doivent avoir un mentor durant leur formation pédagogique. Celle-ci s’étend, en principe, sur trois ans et s’effectue en emploi. La formalisation du contrat avec le·la collègue constitue le premier élément crucial du mandat. Comme chacun le sait, les premières minutes d’un entretien donnent le ton ; les premières impressions … ont la vie dure. Dans ce contexte, soit l’étudiant·e me sollicite, soit c’est l’école qui le fait. Si la première situation semble préférable – elle a au moins le mérite de nourrir l’ego 😉 – les réflexions et explicitations des motivations du·de la collègue constituent un moment précieux. Dit autrement, je sollicite systématiquement des réponses à ce genre de questions : « qu’est-ce que tu attends de ce bout de chemin ? pourquoi moi ? quelle est ta représentation de notre collaboration ? quelles sont tes appréhensions au début de ce parcours ? quel est ton intérêt personnel pour la formation pédagogique, en ce moment ? etc. ». Si l’intime n’a guère sa place dans la sphère professionnelle, il y a une relation spéciale qui brouille les frontières : c’est celle qui lie un mentor à son·sa mentoré·e. Et vice versa. Le mandat prévoit diverses activités réparties sur l’ensemble de la formation. Un nombre significatif de visites (du mentor, au mentor, tripartite, donc avec l’accompagnateur·trice pédagogique envoyé·e par l’IFFP, croisée avec des pairs, leçon test) doivent être planifiées. Elles le sont par le·a candidat·e en fonction de sa progression et/ou de ses besoins.
Ces moments sont particuliers en ce sens que le·la visité·e s’expose, donne à voir ses pratiques, révèle ses forces, mais également ses doutes et ses inconforts, voire ses souffrances. Je privilégie une exploitation de chaque visite en deux phases. Durant une heure au moins, immédiatement après la séquence visitée, j’invite le·la collègue à dire son ressenti, à repérer les éléments positifs sur lesquels il·elle peut asseoir ses pratiques, à identifier des points d’attention, etc. Je cherche à développer chez lui·elle une posture réflexive. Très souvent, lors de cette phase d’autoanalyse, je dois modérer et nuancer l’extrême sévérité avec laquelle le·la mentoré·e évalue sa prestation. Parfois, et ça laisse présager d’un accompagnement plus complexe, l’enseignant·e se montre très satisfait et se dit convaincu·e d’avoir fourni une très bonne prestation … alors que ni les objectifs pédagogiques, ni les méthodes et/ou moyens mis en œuvre, ni la relation avec les apprenant·e·s n’étaient adéquats. Cette forme de cécité exige que je déploie des stratégies particulières pour entrouvrir avec bienveillance quelque brèche dans sa cuirasse. Durant ce débriefing à chaud, je dois être particulièrement attentif à gérer un équilibre fragile quant à la manière dont je vais répondre aux nombreuses questions de l’enseignant·e. Lorsqu’il·elle me demande, par exemple : « mais alors, comment t’aurais fait ? », j’évalue son degré d’inconfort et donne quelques éléments de réponse ou me cantonne dans une posture de miroir et lui renvoie sa question.
Dans tout processus d’accompagnement et/ou de développement de compétences, je suis attentif à me placer et me déplacer dans la zone proximale de développement – concept issu du travail de Lev Vygotski – de mon interlocuteur·trice. La deuxième phase de l’exploitation de chaque visite se déploie 1-2 semaine(s) après et consiste en la rédaction d’un rapport de visite écrit à quatre mains. En respectant une espèce de canevas qui pointe différentes dimensions de l’activité enseignante, j’invite le·la collègue à procéder à une nouvelle autoanalyse de sa pratique. Souvent, les émotions liées au stress qu’induit toute observation externe, se sont apaisées. Le discours est plus posé ; des pistes d’amélioration apparaissent ; des auteurs ont été visités ; etc. Lorsque je reçois ce premier jet, j’y apporte mes remarques et commentaires et relance la réflexion par quelques questions. La suite du rapport est par conséquent une espèce de dialogue où nous prenons, le temps de la réflexion. Lorsque j’assume plusieurs mandans en parallèle, je crée des synergies en favorisant des visites et des débriefings à plusieurs. La multiplicité des regards et des ressentis, la confrontation des pratiques ainsi que l’émulation inhérente à ces rencontres poussent chacun·e à sortir de sa zone de confort. Et c’est là qu’émergent les plus belles pistes de progression.
Le cahier des charges du mentor prévoit l’organisations « d’autres activités ». Ce libellé permet à la personne en formation de saisir n’importe quelle question qui lui tient à cœur et d’en faire un sujet de recherche. Dans la mesure où le travail répond à une demande du·de la candidat·e, la motivation est au rendez-vous et je peux me positionner comme personne-ressource. Si d’ordinaire, je me réjouis de saluer la loyauté et l’engagement de mes collègues, il m’arrive de devoir batailler ferme. Comme dit plus haut, quelques-un·e·s peinent à conscientiser certaines déficiences dans leur pratique ; cette difficulté débouche parfois sur un sentiment d’injustice, voire d’arbitraire dans les évaluations. D’autres – ou parfois les mêmes – remettent en cause tout ou partie du système de formation. Ceci génère chez moi quelque chose qui s’apparente à un conflit de loyauté, puisque je suis mandaté par leur institut de formation, donc un des maillons du système qu’ils·elles contestent. Un jour, alors que j’ai rendez-vous avec une mentoré·e pour une leçon filmée qui doit déboucher sur un entretien d’explicitation et d’autres activités propres à l’analyse du travail, je reçois un mail tarabiscoté qui m’en propose le report. J’appelle l’intéressée pour lui faire part de ma surprise : « c’est toi qui l’as demandée et tu avais l’air tellement enthousiaste de te voir à l’œuvre ; que se passe-t-il ? ». Sa gêne est palpable … et m’intrigue. J’apprends qu’une de ses collègues, également en formation et redoutant que je lui fasse la même proposition, prétend que cette activité est un caprice de ma part. Je dois donc aller, documents officiels en main prouver la légitimité de cette visite. En la circonstance, suis-je toujours légitime et crédible dans ma posture d’ami bienveillant ? Dans de rares cas, je dois proposer de différer la leçon test. Cette décision n’est jamais aisée à prendre et pas toujours facile à faire comprendre, donc admettre par le·la mentoré·e concerné·e. Toutefois, je préfère ne pas l’exposer au verdict « non réussi » qui s’avère – et c’est bien compréhensible – très difficile à avaler. Ce report est vécu comme une remise en cause de sa légitimité à enseigner. Son estime de soi ainsi que son image auprès de ses collègues, voire de ses élèves, sont touchées. Je dois donc poursuivre le développement des compétences métiers ; et m’appliquer à valoriser le chemin parcouru, ajuster sa lecture de l’ajournement et des potentialités de progression qu’il offre.
Résultats
Les mandats de mentor que j’assume ne sont pas propices à la présentation de « résultats » stricto sensu. Plusieurs raisons à cela : même si je dispose d’une large marge de manœuvre, je ne suis pas le concepteur de cette modalité d’accompagnement, la variété des expériences vécues ne se prête pas à une synthèse cohérente et enfin, la quasi-totalité des mandats, parfois au prix d’une prolongation, débouche sur un diplôme pour le·la mentoré·e.
La notion de compétence(s) apparait dans mon propos avec une récurrence qui confine à la manie. De plus, je soutiens volontiers que les compétences générales complètent et renforcent, voire permettent les compétences métiers. Je termine donc par une série de questions – désolé pour l’aspect énumérateur – qui guident mes interventions lorsque j’endosse le rôle de mentor et qui doivent aider l’étudiant·e à autoévaluer sa progression, donc son degré d’acquisition et/ou de développement des compétences requises : Les séquences d’enseignement sont-elles planifiées de manière cohérente ? Les activités didactiques sont-elles préparées consciencieusement ? L’animation des séquences pédagogiques est-elle adaptée aux objectifs et au public ? Les technologies sont-elles intégrées dans l’enseignement avec efficience ? Comment l’enseignant gère-t-il·elle les relations avec les personnes en formation ? Comment l’évaluation des apprentissages est-elle pensée et mise en œuvre ? Le·la mentoré·e est-il·elle capable de porter un regard réflexif sur sa pratique ? L’enseignant·e a-t-il·elle les compétences sociales nécessaires pour collaborer dans le système de la formation ? Comment évolue-t-il·elle dans son identité professionnelle et dans la perception des rôles y relatifs ?
Et, parce que son propos m’a profondément touché, je m’autorise le copier-coller d’un extrait de mail (merci Marc !) : « C’est ta posture ouverte et éclairée ainsi que ta bienveillance qui m’ont motivé à vraiment réfléchir. Je crois que j’en ressors grandi, me projette volontiers pour mon futur dans ce métier. C’est génial de voir quelqu’un comme toi, qui après plus de 40 ans d’enseignement, a encore cette malice lorsqu’il parle de son job ; je le perçois sincèrement comme un modèle … ».
Outiller l’assurance qualité
Lorsque la personne en formation devient un client, les formateurs sont amenés à requestionner leur référentiel de compétences et leurs pratiques.
Dit autrement, il a fallu ici apporter des réponses à quelques questions cruciales : qu’est-ce qu’un·e bon·ne enseignant·e ? qu’elles sont les modalités d’évaluation qui sont à la fois pertinentes et éthiquement soutenables ? qui est habilité à procéder à ces évaluations ? quels en sont les déclencheurs ? que deviennent les résultats desdites expertises ?
Mandant
Mission
Élaborer un dispositif d’évaluation de la posture professionnelle des enseignants dans la perspective des entretiens de développement.
Le cœur de ce mandat consiste à identifier des critères et des indicateurs idoines. Dit autrement, c’est quoi un bon enseignant ?
L’autre grande question – et elle est tout sauf anodine – porte sur les modalités de cette évaluation : qui évalue, quand et comment ?
Modalités d’interactions
Je prends la peine de contextualiser ce mandat pour permettre au·à la lecteur·trice d’appréhender les dimensions humaines et la charge émotionnelle inhérentes à ce projet. Comme formateur depuis des décennies, lorsque, il y a environ 10 ans, les références à l’assurance qualité se multiplient dans le discours de mes supérieurs et que les premières séances d’information peinent à faire reculer mon ignorance dans ce domaine, je n’imagine pas devoir en appréhender les grandes orientations et encore moins être sollicité pour y apporter ma modeste contribution.
L’immersion est aussi brutale qu’inconfortable : un collègue est remis en cause par deux groupes d’apprenant·e·s et le directeur, pressé par le pouvoir politique, me convoque pour que j’élabore un dispositif de suivi des enseignants. Dit autrement, en sa qualité de responsable RH de la division, il a besoin d’éléments factuels pour décider, en l’espèce, du sort de l’un de ses enseignants. Si le déclencheur de ce mandat se caractérise par un certain degré d’urgence, le dispositif d’évaluation que je suis tenu d’imaginer doit permettre le suivi ordinaire de chaque enseignant·e et documenter les entretiens de développement tels que le SMQ les prévoit.
Une séance à laquelle le directeur, un second membre du comité de direction, le collègue remis en cause et moi-même participons permet au responsable RH de faire un bref historique des éléments qui ont mis ce processus en route et d’évoquer l’évaluation qui va suivre. Le malaise est profond ; et général. Chaque personne présente a, au fil des ans, tissé des liens avec Luc1 qui vont au-delà de simples rapports professionnels.
Si l’évaluation formative est largement documentée – je pourrai d’ailleurs m’en inspirer dans mon travail – la littérature est moins riche en ce qui concerne l’évaluation normative. En effet, imaginer des critères et/ou des indicateurs qui permettent d’orienter et de soutenir le développement est plutôt aisé. Cependant, sélectionner ceux qui peuvent conduire au licenciement d’un·e collaborateur·trice est particulièrement complexe, peut-être plus encore dans les métiers de l’humain.
Parallèlement à un travail de recherche conséquent, je rencontre mon mandant et Luc à réitérées reprises. Je progresse dans la modélisation du dispositif et suis en mesure d’en préciser les contours et d’en informer toutes les personnes impliquées.
Si, dans ce contexte, les visites et entretiens conservent leur caractère potentiellement intrusif, voire violent, Luc reconnait le soin que j’apporte à l’organisation de chaque modalité et apprécie la bienveillance que je veux privilégier dans ce genre de dispositif. L’existence même de cette procédure filtre et suscite des réactions très tranchées de la part de certain·e·s collègues malgré (ou à cause de ?) leur méconnaissance manifeste de la situation. Mon devoir de réserve m’empêche d’intervenir mais je déplore de ne pas pouvoir protéger davantage la face de ce collègue dont la situation est pour le moins inconfortable.
La direction valide les grands axes de la procédure d’évaluation de la posture enseignante que je lui soumets. Elle informe Luc des différentes étapes, lui explicite les modalités et les intentions qui les sous-tendent et lui transmet les critères d’évaluation qui seront pris en compte. Les deux visites (une par classe revendicatrice) sont suivies de débriefings avec Luc, d’entretiens avec la classe, en sa présence, puis en son absence. Dans la semaine qui suit, les observateurs et Luc procèdent, chacun de leur côté à une évaluation de la prestation selon un certain nombre de critères.
La rencontre qui suit s’articule autour d’une coévaluation. Les échanges sont parfois vifs mais très respectueux. Je souligne, avant de poursuivre, que la remise en cause de ses pratiques par deux groupes d’apprenant·e·s a fortement affecté Luc et que sa confiance et son image de soi sont au plus bas. Au début de cette séance de coévaluation, il va jusqu’à exprimer des doutes quasi existentiels : « Ai-je ma place dans l’enseignement ? alors, ça fait plus de dix ans que je fais de la m… ? ». Progressivement, la charge émotionnelle diminue et Luc comprend qu’il n’est pas en audience et qu’il n’y a pas de jurés autour de la table mais des collègues unanimement bienveillants. Des pistes d’améliorations sont évoquées et Luc adhère à diverses propositions qui lui sont faites, notamment quant aux registres de langage qui peuvent heurter certain·e·s apprenant·e·s.
Au terme de cette réunion, je constate que les observateurs – dont je suis – éprouvent un sentiment de soulagement qui n’a pas grand-chose à envier à celui ressenti par Luc.
La procédure se termine, quelques jours plus tard, par un rapport émanant de la direction et qui consigne les observations faites à chacune des étapes, les résultats de la coévaluation ainsi que les propositions d’évolution.
1 Prénom d’emprunt
Résultats
Même si, dès l’octroi du mandat, je suis conscient de la charge émotionnelle que représente une telle procédure lorsqu’elle est enclenchée à titre extraordinaire, je continue à me questionner sur les moyens d’en atténuer les effets possiblement délétères.
Le modèle décrit ci-dessus, élaboré puis déployé dans une relative urgence mérite quelques ajustements. Un collègue informaticien met ses compétences à mon service et nous opérons la finalisation de certains documents et formulaires. A ce jour, le suivi pédagogique des enseignants fait l’objet de documents estampillés SMQ.
Au début de ce projet, je confesse mes difficultés à m’identifier à tous ces critères d’un système de management de qualité. Je travaille pour des institutions certifiées et dois « … démontrer mon aptitude à fournir constamment des produits et des services conformes aux exigences des clients … ».
Est-ce qu’une personne en formation est un client ? Si oui, alors, que ’est-ce que cela implique en termes de changement(s) de posture de la part du ·de la formateur ·trice ? Et sinon, qu’est-ce qui les distingue ?