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Privilégier l’efficience plutôt que l’efficacité

Efficient ou efficace ?
Source : Gaston Lagaffe de A. Franquin – planche 829

Désolé, Monsieur Larousse !

Vous m’avez beaucoup appris ; et continuez à le faire. Toutefois. sauf le respect que je vous dois, il faut, au nom de toutes celles et de tous ceux qui travaillent, que je relève une imprécision dans vos définitions : efficience n’est pas synonyme d’efficacité.

A quelques nuances près qui n’ont pas leur place ici, la plupart des auteurs adhèrent peu ou prou aux définitions suivantes :

  • Efficacité : capacité d’une personne, d’un groupe ou d’un système, à parvenir à ses fins, à réaliser ses objectifs ; qualifie une suite d’actions qui produisent les effets souhaités. Dit autrement, l’efficacité vise un résultat, sans (nécessairement) se préoccuper des ressources mobilisées.
  • Efficience : capacité d’un individu, d’un ensemble d’individus, d’une machine ou d’une technique à obtenir le maximum de résultats avec le minimum de moyens. Dit autrement, c’est tout simplement l’optimisation des ressources utilisées dans la production d’un résultat.

Dans un registre plus métaphorique, je pourrais ajouter que l’efficacité c’est d’arriver à destination alors que l’efficience c’est trouver le meilleur chemin pour y arriver.

Si d’aucun·e·s prétendent que ces distinctions sont de pures ratiocinations rhétoriques ou de simples ergotages sémantiques, j’objecte véhémentement : selon que l’on privilégie l’efficacité ou que l’on vise l’efficience, c’est ni plus ni moins que la santé de la personne au travail qui est en jeu !

Quid de ces distinctions dans l’organisation de l’activité ?

Quelle que soit votre situation professionnelle : administrateur·trice d’une collectivité, cadre dans une entreprise, responsable dans un établissement scolaire ou personne privée en quête d’optimisation de ses compétences, les incertitudes conjoncturelles et les changements structurels ultrarapides vous contraignent à être flexible pour affronter le prévisible et agile pour faire face à l’imprévu.

Les impératifs de performance sont omniprésents et chaque acteur y va de ses propositions et stratégies, toutes plus créatives l’une que l’autre. Invariablement, les solutions proposées sont étayées par des indicateurs de performance produits par des experts plus ou moins compétents et/ou scrupuleux. Souvent, les résultats obtenus diffèrent de ceux escomptés.

Ces injonctions à la réussite et les écarts récurrents entre les buts poursuivis et les objectifs atteints poussent chacun·e· des acteurs·trices à accroître sa contribution. La charge de travail augmente au-delà du raisonnable, puis bientôt au-delà du supportable. Cette dérive est amplifiée depuis quelques années par un phénomène sociétal dont les ravages commencent seulement à faire l’objet d’études approfondies : il est devenu pratiquement impossible et/ou intolérable de séparer la carrière de la vie personnelle ; j’y reviendrai dans un prochain article. La quête d’efficience – faire les bonnes choses de la meilleure des façons – s’impose donc comme une évidence.

Brève désambiguïsation graphique

Nous avons défini l’efficience comme une optimisation des ressources utilisées.

Par souci de simplification, je postule, dans le présent exemple, que les facteurs de production ont été optimisés et stabilisés par substitutions et combinaisons. Je relève également que la consommation des facteurs « terre » et « capital physique » est pratiquement proportionnelle aux quantités produites. Par conséquent, ce graphique illustre l’évolution de la consommation de ressources humaines – le travail lui-même ainsi que les savoirs, les savoir-faire, l’esprit d’initiative, etc. bref, les compétences – tel que les études la mettent en évidence.

Les experts estiment que le capital immatériel représente entre 60 et 70 % de la valeur des entreprises.

Du gaspillage de ressources humaines au risque de burn-out

Faire les bonnes choses de la meilleure des façons, c’est donc privilégier le facteur de production travail et considérer les ressources humaines comme extrêmement précieuses notamment parce que difficilement remplaçables à l’identique. Pérenniser, voire augmenter l’efficience d’un individu ou d’un collectif, c’est identifier les compétences requises valoriser les compétences présentes et les développer par une formation continue idoine. Réunir des travailleurs·euses compétent·e·s c’est s’assurer d’une force de résilience irremplaçable lorsque la tempête s’abat sans ménagement sur l’entreprise ou l’institution.

Le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

Efficience et santé au travail

Nous avons vu plus haut combien les injonctions à la performance et/ou la quasi-impossibilité de ne pas laisser le professionnel empiéter sur le privé induisent un surcroit de travail et une surcharge émotionnelle préjudiciables à la santé du·de la travailleur·euse.

Les effets du stress conjugués à l’augmentation du temps de travail impactent fortement la santé physique et psychique de l’individu. Mon propos n’est pas ici de dresser une liste des pathologies diverses et multifactorielles en lien avec l’activité professionnelle ni de décrire les axes de la prévention multimodale souvent mise en place. J’ajoute – et c’est un truisme – que les manifestations de la maladie ne s’arrêtent pas à la timbreuse, mais qu’elles impactent fortement la sphère privée, dont l’environnement familial.

Lorsque le milieu professionnel privilégie la performance au détriment de l’efficience, il devient également accidentogène. En septembre 2020, la SUVA publiait des chiffres alarmants : « Plus de 860 000 accidents au travail et durant les loisirs ».

Nos ressources humaines ne méritent-elles pas plus d’attention ?

Quelques pistes

Pêle-mêle, je livre aux lecteurs·trices, en plus de celles abordées plus haut, quelques questions ouvertes en guise de pistes de réflexion, voire de remédiation : comment améliorer l’environnement de travail ? serait-il pertinent d’adopter un style de leadership participatif ? faut-il pérenniser les ressources humaines au-delà de 65 ans ? comment atteindre, voire restaurer l’équilibre travail – vie privée ? le plaisir a-t-il sa place au travail ? comment adapter les méthodes de production et les organisations pour chaque prestation afin d’atteindre un niveau d’efficience maximal ?

Les choix sont difficiles ; le contexte économique, voire politique est tourmenté. Il est plus que jamais crucial d’investir dans l’Humain ! Il est le cœur de la performance de l’entreprise et c’est par lui qu’émergent les solutions.

Faute de valeur supérieure qui oriente l’action, on se dirigera dans le sens de l’efficacité immédiate. Rien n’étant vrai ni faux, bon ou mauvais, la règle sera de se montrer le plus efficace, c’est-à-dire le plus fort. Le monde alors ne sera plus partagé en justes et en injustes, mais en maîtres et en esclaves.

Albert Camus – 1913-1960 – L’Homme Révolté, 1951

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